« L’homme n’est pas juste un consommateur. C’est aussi un être capable de créer, de fabriquer, d’inventer » déclarait David Holmgrem, co-fondateur de la permaculture, dans une récente interview au journal suisse Le Temps. Cette petite phrase, en apparence toute simple, mérite pourtant qu’on s’y arrête. Car si tout un chacun s’accorde sans problème sur l’idée que ces mots sont tout à fait justes, combien d’entre-nous les mettent véritablement en pratique au quotidien?
Quand un européen a besoin de quelque chose dans sa vie de tous les jours, combien de fois répond-il a ce besoin (si tant est que ce soit un besoin réel et pas seulement une simple envie… mais ça c’est une autre histoire) en créant, en fabriquant ou en inventant plutôt qu’en consommant?
Si nous avons aujourd’hui tendance à plus facilement consommer qu’inventer (ou même troquer) ce dont nous avons besoin, ce n’est pas seulement parce que cela nous parait plus rapide ou plus confortable, c’est aussi (et peut-être d’abord) parce que nous n’avons (pour la plupart d’entre nous) jamais appris que nous étions capables de le faire.
Quand on y pense, le degré de dépendance de la population occidentale peut paraître vertigineux. La plupart des gens ne savent absolument pas répondre par eux-même aux besoins humains de base: produire sa nourriture, construire son habitat, faire du feu, fabriquer ses vêtements, ses ustensiles de tous les jours, etc. etc. Les savoirs-faire premiers ne sont plus valorisés ni transmis. Non seulement nous sommes déconnectés de la nature, mais en plus nous sommes déconnectés de notre propre nature. Et il me semble que cet état de fait impacte fortement notre sentiment de confiance envers la vie. Comment , en effet, se sentir intérieurement en sécurité quand tous nos besoins premiers dépendent de l’extérieur?
Alors oui, je vous l’accorde, je ne passe pas mes journées à tisser du lin que j’ai moi-même fait poussé et filé dans le but de confectionner mes vêtements. D’ailleurs ce n’est pas la vie à laquelle j’aspire. Il ne s’agit pas de tout faire soi-même, mais d’avoir des connaissances de base pour se sentir un minimum indépendantEs, résilientEs et sereinEs.
Notez bien qu’ici on ne parle PAS D’AUTARCIE: se suffire à soi-même. Cette notion portant par essence l’idée de fermeture à l’extérieur.
Mais bien D’AUTONOMIE, au sens étymologique du terme: Faculté de gouverner par ses propres lois (dans le respect de l’autre bien sûr), d’agir librement, indépendance.
La permaculture, a pour but de cultiver intelligemment les interactions, dans un esprit d’ouverture. Tout l’art consiste à être à la fois indépendant dans ces idées et relié à ce qui nous entoure (la nature, les autres, …)
Attention, il ne s’agit pas non plus d’être mû par la peur de la fin du monde et d’engranger des réserves et des savoirs-faire pour survivre, ni de rester figé sur une image idéalisée de l’époque de nos grands-parents. Mais simplement de prendre conscience des bienfaits que l’on peut tirer de la réappropriation de certains savoirs-faire ancestraux basiques. Des bienfaits en terme d’impact sur l’environnement (moins de déchet, de transport, de coût énergétique), de bien-être (gestes simples, répétitifs, relaxants, invitant à la créativité, etc.), de développement personnel.
Maria Montessori proposait comme un des fondement de sa pédagogie « d’apprendre à l’enfant à faire seul ». Selon cette scientifique, c’est là la meilleure façon d’amener l’enfant vers l’épanouissement à la fois de son intellect, de son corps et de ses émotions.
Grandir, c’est apprendre à être autonome… et l’on peut grandir à tout âge. Alors apprenons nous-même et transmettons aux plus jeunes, filles autant que garçons sans distinction de genre, les rudiments du jardinage, de la mécanique, de la transformation des aliments, de la construction d’habitats écologiques, de la couture, de l’orientation en forêt, du maniement et de la fabrication d’outils,… le monde est vaste et les savoirs-faire utiles sont infinis. On ne pourra pas les explorer tous (ce n’est pas le but), mais on pourra s’explorer à travers certains d’entre eux.
Et quand nous ne savons pas faire nous-mêmes, n’ayons pas peur d’aller à la rencontre de personnes-ressources. Il y a toujours un grand-père, une voisine, un passionné, une professionnelle dans notre entourage ou proche de chez nous, tout prêt à transmettre ses connaissances et à initier grands et petits à « son art ». Sans compter toutes les animations et sorties proposées tout au long de l’année. Apprendre l’autonomie c’est aussi apprendre à se réjouir de rencontrer la différence de l’autre, l’enrichissement mutuel.
Plus d’autonomie dans nos besoins quotidiens, c’est aussi plus d’autonomie d’esprit. Savoir que je peux faire par moi-même me rend moins dépendant, renforce ma confiance en moi et ainsi m’aide à oser penser par moi-même. C’est comme cela que nous pourrons remettre en question les modèles établis, innover, inventer et adopter les solutions de demain dès aujourd’hui.
Mais ne nous y trompons pas, pour fonctionner cette spirale vertueuse a besoin d’un autre ingrédient essentiel: l’autonomie affective. Et ça, ça commence dès la (toute) petite enfance. La première chose que nous devons transmettre aux jeunes c’est le respect, l’estime de soi et la sécurité affective et émotionnelle intérieure. Sur ce chemin là aussi nous (parents et professionnels de l’éducation) avons certainement besoin de remettre nos habitudes en questions et de partir en quette de nouveaux savoirs et savoirs-faire ayant trait aux avancées des neurosciences, à la grammaire des émotions et à la bienveillance. Cette question de l’autonomie affective est un vaste sujet méritant plusieurs articles à lui seul… j’y reviendrai prochainement dans ces pages car cela constitue à mes yeux un sujet central.
En attendant, j’espère que cet article aura contribué à faire sentir combien les notions de permaculture et d’autonomie(s) sont indissociables. N’hésitez pas à poster vos réflexions et questions en commentaires, je serais très heureuse que ce blog puisse aussi être un lieu de discussions et d’échanges.